Baptême du Seigneur 2022 C
Fr Philippe Toxé op
Lc 3, 15-16.21-22
Luc est beaucoup plus discret que Matthieu et Marc sur le baptême de Jésus qu’il mentionne juste au détour d’une phrase.
Il a dit avant que des foules venaient se faire baptiser par Jean et que le peuple venu auprès du Baptiste était en attente.
Si ces gens se font baptiser par Jean, c’est en signe de conversion, après avoir entendu la prédication de Jean le Baptiste dont nous savons qu’il proclamait un baptême de repentir pour la rémission des péchés. Ils sont donc conscients d’être pécheurs et confessent qu’ils ont des choses à se faire pardonner. Pour manifester le regret de leur péché, leur désir de se convertir, ils reçoivent le baptême en étant plongés dans l’eau qui lave et purifie. Certains le font peut-être par crainte du jugement qui vient ou par convenance sociale, d’autres dans l’attente de la bienheureuse espérance de la venue du Messie.
Le geste du baptême avec de l’eau est évocateur de ce besoin de purification, de se laver du péché, pour être jugé digne lorsque viendra le Messie que Jean annonce et dont il dit préparer la venue. Et si la prédication de Jean rencontre un grand succès, c’est parce que son message correspond à l’attente des gens, mais aussi parce qu’il est crédible : ce saint a la vie austère, spirituellement plus avancé, peut appeler ceux qui le sont moins, à avancer sur le chemin du salut. Le sens de la prédication de Jean-Baptiste et les motivations de ceux qui reçoivent le baptême sont donc assez clairs.
Luc ne nous parle pas de la démarche de Jésus qui précède le baptême, ni de la célébration-même du baptême, mais seulement de ce qui se passe après, comme s’il était gêné d’en parler. Comment est-il possible que Celui qui est plus grand que Jean le Baptiste ait été baptisé ? Une lecture purement humaine et extérieure, mais qui est celle qu’ont dû faire les gens qui ont vu Jésus recevoir le baptême, serait d’en déduire que Jésus est un homme pécheur comme les autres qui se convertirait. Cette lecture réductrice et fausse (hérétique !) ne rend pas compte de tout ce que les évangiles nous disent par ailleurs de Jésus.
Pour Jésus, il ne peut s’agir de reconnaître son péché et de se convertir, parce que s’il a vécu notre condition humaine, c’est à l’exception du péché. Il a conscience d’être celui qui vient accomplir l’Ecriture, celui que Jean annonce, et qui baptisera dans l’Esprit Saint et le feu. Se purifier de ses péchés pour accueillir le Messie, n’a pas de sens quand il s’agit de Jésus, parce qu’il est sans péché et que c’est lui le Messie.
Mais alors quel peut être le sens de ce geste de la part de Jésus dont les autres évangélistes nous disent qu’il a dû insister pour que Jean le baptise ?
En recevant le baptême, en prenant sa place dans la file des pécheurs qui expriment leur désir de salut, leur volonté de se libérer du mal, Jésus exprime sa solidarité avec ces pécheurs. Il pose un geste prophétique qui résume tout le programme de sa vie : il vient prendre place parmi les pécheurs, non parce qu’il serait pécheur lui-même et qu’il aurait besoin d’être pardonné, mais parce qu’il veut rejoindre les hommes dans leur désir de salut et de réconciliation avec Dieu. Ce baptême, ce plongeon dans l’eau, signifiait pour ceux qui le recevaient le désir de mourir au péché et de vivre pour la justice. Jésus n’a pas besoin de mourir au péché, mais en plongeant dans l’eau, il dit son désir de rejoindre l’humanité là où elle en est, de vivre sa condition, pour l’emmener jusqu’à Dieu.
Ce baptême de conversion, c’est l’expression du désir des hommes de se convertir et d’être réconciliés avec Dieu. Eh bien en recevant ce baptême, le Christ veut dire que Dieu comprend ce désir, s’y associe pleinement et va exaucer l’attente des hommes au-delà de ce qu’ils peuvent imaginer, qu’il vient vivre au milieu de nous pour cela, pour manifester son amour, pour nous faire plonger non seulement dans l’eau qui lave des péchés, mais dans le feu de l’Esprit Saint qui donne la force d’aimer.
Et c’est quand Jésus exprime sa volonté humaine et sa volonté divine d’accompagner les hommes sur leur chemin de conversion et de salut, que le ciel s’ouvre, que Dieu se manifeste : « Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie » dit le Père, et les évangélistes disent que l’Esprit descend, sous l’apparence d’une colombe, comme celle qui au déluge inaugurait une ère nouvelle, lavant l’humanité de tous ses péchés engloutis dans les eaux et scellant une alliance avec l’humanité recréé.
C’est cela que Jésus est venu réaliser en ce monde et qu’il inaugure en recevant le baptême de Jean, comme une annonce d’un autre baptême dont il doit être baptisé, jusqu’à être plongé dans la mort, pour ressusciter par la puissance de son amour.
Nous sommes chrétiens parce que nous avons été baptisés nous aussi, non pas d’un seul baptême de conversion, pour enlever seulement nos péchés, mais du baptême qui donne l’Esprit, nous fait entrer dans la vie du Christ, brûler du feu de son amour et entrer dans la vie trinitaire qui se laisse entrevoir au jour du baptême de Jésus. Au baptême, nous devenons disciples de Jésus et enfants du Père, nous recevons son Esprit pour témoigner par toute notre vie de l’amour de Dieu pour notre humanité et nous devenons les annonciateurs de cette dignité d’enfants de Dieu à laquelle tous les hommes sont appelés.
« Tu es mon Fils » dit le Père à ce Jésus qui, dans son agir humain, a accompli dans sa chair, à chaque instant de sa vie, sa volonté divine de Fils qui veut ce que le Père veut : accomplir toute justice, ce qui pour Dieu qui est amour veut dire : donner le salut aux hommes. Si nous sommes baptisés au nom de Jésus, nous entrons dans son histoire, nous sommes associés à lui, nous devenons par adoption, ce que le Verbe est par nature, fils de Dieu. Depuis notre baptême, le Père nous dit « Tu es mon Fils, mon enfant, bien aimé » et il nous donne son esprit d’amour qui l’unit au Fils et nous unit à lui. Et Dieu trouve sa joie en nous.
Que toute notre vie soit à l’image de ce geste du baptême que nous avons reçu, parce que le Christ en a fait le sacrement de notre incorporation à lui, pour que nous entrions, nous aussi dans cette vie trinitaire et vivions de cet Esprit d’Amour que le Verbe incarné est venu nous insuffler par sa vie, sa mort et sa résurrection. Amen.