2ème Dimanche du To C
P Julien Dupont
Jn 2, 1-11
Que fit Dieu le septième jour ? Dans le premier récit de création, il se reposa (Gn 2, 2). Et dans l’épisode des noces de Cana, au septième jour de son ministère public, il crée… le « bon » vin ! Oui, nous voici dans un autre récit de création qui inaugure un temps nouveau. Qu’est-ce à dire ?
Pour mieux comprendre ce récit, arrêtons-nous un instant sur la manière dont le vin était conservé au temps de Jésus. Après l’avoir pressé, le vin restait dans des amphores à base pointue, facile à stabiliser dans un sol meuble, au frais. Il n’y avait donc pas de bouteilles… et ce vin se diluait avec de l’eau, en l’agrémentant d’aromates. Autrement dit, ce qui est atypique dans ce récit de ce jour, ce n’est pas tant la question de l’eau changée en vin, mais que la bonne alchimie soit réalisée. Le vin est bon, non parce qu’il est vieilli, mais parce qu’il a connu, en quelque sorte, une première transsubstantiation : ce vin est, déjà, le vin du royaume éternel. Ce vin capiteux annoncé par Isaïe (Is 25, 6-10), c’est aujourd’hui qu’il nous est révélé !
Après Cana, rien n’est plus comme avant. Car, déjà, Dieu nous permet de vivre au ciel, sur la terre. Déjà, il est possible de vivre la nouvelle Alliance. Remarquez d’ailleurs que nos liturgies ont gardé trace de cette nouvelle Alliance en voyant dans le mystère de l’épiphanie, du baptême du Seigneur et des noces de Cana un même Mystère qui nous est révélé (antienne de l’épiphanie). Car, en ces trois théophanies, Dieu inaugure son règne en notre humanité. Voilà pourquoi, également, notre liturgie garde trace des noces de Cana lorsqu’une goutte d’eau est versée dans le Calice, avant de présenter le vin : « Comme cette eau se mêle au vin pour le sacrement de l’Alliance, puissions-nous être unis à la divinité de Celui qui a pris notre humanité ». Oui, sœurs et frères, cette goutte d’eau nous permet d’actualiser le Mystère célébré à Cana où l’eau a rempli les amphores pour donner le bon vin. Voici venu le jour des noces où l’humanité et Dieu ne font qu’un !
Cette Alliance voulue par Dieu depuis la création du monde a été scellée à jamais, et nous en prenons conscience avec Cana. Chacun de nous est rendu digne de laisser le Christ vivre en nous. Voilà pourquoi nous avons entendu, ce jour, le bel harmonique de Paul aux Corinthiens : « Les activités sont variées, mais c’est le même Dieu qui agit en tout et en tous. À chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien [de tous !] » (1 Co 12, 6-7). Mes amis, si la théologie de Paul peut largement inspirer notre ecclésiologie, voyez comment Dieu se rend présent à chacun de nous. Tous, nous avons notre part d’humanité appelée à être divinisée. Tous, nous avons comme unique mission de rendre visible cette Alliance nouvelle, en nos vies. Tous, nous avons reçu un « don » – ce mot revient sept fois dans cette lecture – que nous ne pouvons enfouir ou dilapider. À partir de Cana, Dieu compte sur chacun de nous pour prolonger les signes inaugurés par le Christ. Ainsi, « comme la jeune mariée est la joie de son mari, ainsi tu seras la joie de ton Dieu » (Is 62, 5)
Si Dieu a manifesté sa gloire, et qu’il nous est possible de le glorifier encore en mettant nos talents au service du monde de ce temps, reconnaissons aussi que « l’heure » de Dieu n’est pas encore venue. Oui, Dieu attend que nous témoignions de sa vie en nos vies. Mais ce témoignage n’est que partiel, car il sera définitif aux derniers jours. Que cela ne nous excuse jamais de ne pas chercher à témoigner de Dieu par nos existences dès à présent ! Mais que cela nous offre un réconfort : notre humanité, si fragile, si imparfaite, peut déjà rayonner de la gloire divine.
L’époque que nous connaissons, où les scandales – même en notre Église – s’enchaînent peut laisser croire que, trop marqués par le poids du mal et du péché, il nous est impossible de témoigner de sa gloire, comme il nous l’a révélé. N’oublions pas, qu’à Cana, les cuves d’eau utilisées pour faire le bon vin étaient en pierre… C’est-à-dire qu’elles servaient pour les purifications rituelles des Juifs. Appelés à se convertir, nous le sommes tous. Mais, faisant mémoire de Cana, c’est avec cette eau de la conversion que Dieu nous offre le bon vin. Là est le miracle. Non qu’il ait trouvé la bonne proportion d’eau pour sublimer le vin, mais qu’il utilise une eau qui peut être souillée pour réaliser le meilleur. Pour que nous témoignons de sa gloire dès à présent, réécoutons ensemble l’invitation de Marie : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le ». Bien sûr, parfois nous n’écoutons pas ses appels, nous ne les entendons pas, ou n’y répondons pas. Mais osons laisser résonner de nouveau sa Parole. Car, c’est en nous mettant à son écoute que, maintenant, dès ici-bas, nous pourrons révéler sa divinité en notre humanité. Amen.