Lettre aux Amis de Chalais N°1
EDITO
Sr Agnès
Rendez-vous au feu nouveau !
« Voici la nuit où le Christ, brisant les liens de la mort, s’est relevé, victorieux des enfers… “
Sur le parvis de l’église, la Vigile pascale commence autour du feu nouveau pour célébrer le triomphe de l’éternelle Lumière sur la mort. A ce feu, est allumé le cierge pascal, symbole liturgique du Christ, Lumière du monde, Clarté de nos vies. Que nous soyons catéchumènes ou non, c’est une première fois. Oui, une première ! Car le Christ est « le commencement et la fin de toute chose, l’Alpha et l’Oméga ; A lui, le temps et l’éternité ! »
Que nos oreilles s’ouvrent, lors de la bénédiction du feu et de la préparation du cierge pascal, en entendant ces paroles au milieu des crépitements des flammes dansantes. En cette nuit très sainte, devant la colonne de feu, abandonnons nos « choix par défaut » en tout genre. Ultime moment pour laisser calciner nos doutes, nos rancœurs, nos égoïsmes dans ce brasier… Que nos zones grises d’indécisions, d’indifférences se laissent illuminer par le Christ, mort et ressuscité pour nous ! « Vivre par défaut », est-ce vraiment notre vocation baptismale ?
Cette année, le temps pascal est aussi une période de rendez-vous électoraux dans notre pays. Que notre bulletin de vote serve le bien commun, le mieux possible pour la durée des mandats concernés. Un choix temporaire, pour du temporel, mais il concerne la vie citoyenne de notre pays et ses échanges avec l’Europe et les autres entités politiques. Le pape François nous rappelle que « tout est lié ».
Sainte fête de Pâques ! Avec le Christ ressuscité, heureux temps pascal dans l’attente des langues de feu de la Pentecôte…
SOMMAIRE :
Edito
Mot de la Présidente des Amis de Chalais
Nouvelles de la communauté
Homélie pour le Jeudi Saint (Fr Jean-Michel Poffet)
Du conflit à la communion (Sr Julie)
A propos du Fr Marie -Dominique Chenu op (Sr Maya)
Bloc Notes
CHRISTINE LEFROU Présidente de l’Association
DU CONFLIT À LA COMMUNION
Sr Julie
Du 23 au 26 janvier dernier, nous avons eu la chance de travailler le document luthéro-catholique « Du conflit à la communion » paru en 2013 en vue de la commémoration du 500ème anniversaire de la Réforme avec frère Michel Mallèvre, dominicain à Paris. Ancien directeur du service national pour l’Unité des Chrétiens de la Conférence Épiscopale de France, et directeur du centre d’études Istina, frère Michel Mallèvre n’est pas seulement un spécialiste de l’œcuménisme et un pédagogue hors pair. A l’entendre évoquer les multiples relations qu’il a tissé avec des personnes de toutes les Églises chrétiennes, pas de doute : l’œcuménisme, c’est toute sa vie !
La fédération luthérienne mondiale représente environ 80 millions de fidèles, soit le dixième des protestants actuels (les anglicans et la Communion mondiale des Églises Réformées issue de Calvin représentant aussi chacun un dixième des protestants, tandis que les différentes branches des évangéliques comptent au total 600 millions de fidèles). Pourtant ce document issu du dialogue entre la fédération luthérienne mondiale et l’Église catholique romaine est important pour deux raisons. D’une part, parce que Luther est à l’origine de la Réforme. C’est bien en poursuivant sans relâche le dialogue avec les Luthériens que nous entrerons dans une meilleure compréhension de ce qu’a voulu réellement Luther et des responsabilités partagées dans la division de l’Église du Christ. D’autre part, parce que c’est la première commémoration de la Réforme depuis le Concile Vatican II. Cette commémoration arrive après 50 ans de dialogue catholique-luthérien. Elle est donc riche d’un profond changement de regard sur l’autre et d’une vision plus commune de l’histoire. Loin de l’atmosphère polémique qui dominait auparavant les relations entre protestants et catholiques, chaque Église est appelée à reconnaître chez l’autre une fidélité authentique à l’Évangile et à voir dans l’autre Église des richesses qui comblent les carences de sa propre Église(1). « Le dialogue est moins un échange d’idées qu’un échange de dons », a pu dire le pape saint Jean-Paul II dans sa lettre encyclique Ut Unum Sint (§ 28).
Protestants et catholiques reconnaissent maintenant que Luther n’a pas pas voulu diviser l’Église, il a voulu la réformer. Le point de départ de la Réforme est la publication le 31 octobre 1517 des 95 thèses contre les indulgences. Beaucoup étaient choqués devant l’ampleur qu’avait pris les indulgences. De grandes sommes d’argent étaient ainsi versées à l’Église par les fidèles en réparation de leurs péchés ou de ceux de défunts. Non seulement cela rendait moins visible la gratuité du salut offert par le Christ mais cela enrichissait l’Église de manière scandaleuse. De même, les fidèles communiaient peu fréquemment, mais « offraient » de multiples messes pour l’âme des défunts. Ce qui donnait l’impression que l’Église offrait le sacrifice eucharistique pour multiplier les grâces. Luther a dénoncé ces pratiques déviantes de l’Église. Ensuite, les réactions de part et d’autre ont été telles que cela a abouti à une division. Mais aujourd’hui, avec la volonté de réforme de l’Église impulsée par Vatican II, les catholiques peuvent mieux comprendre le souhait initial de Luther. (cf. § 26 à 29 du document « Du Conflit à la Communion »). La place centrale redonnée à l’Écriture Sainte dans la vie de l’Église et la remise en valeur du sacerdoce commun de tous les baptisés sont des points forts de Vatican II et un atout majeur pour le rapprochement avec les protestants. Autre grande avancée concernant le rapport entre Écriture et Tradition : dans la constitution sur la Révélation, le concile reconnaît que « le magistère n’est pas au-dessus de la parole de Dieu, mais il la sert. » (DV § 10). Sur le point de discorde le plus important au départ, la justification par la foi, catholiques et luthériens sont maintenant arrivés à un consensus différencié (déclaration commune sur la justification par la foi signée en 1999). Se rendant compte qu’ils sont d’accord sur l’essentiel : le fait que le salut est l’œuvre gratuite de la Trinité, que l’homme ne peut à aucun moment mériter. Mais l’homme coopère à cette grâce en acceptant librement ce salut et donc en se laissant transformer par la grâce.
Bien-sûr, il reste des domaines où les différences demeurent. L’Église est-elle un instrument efficace du salut ? Les protestants la voient encore plutôt comme une simple institution humaine voulant préserver l’unique médiation du Christ. Quant à l’ordination, le sacerdoce du prêtre se distingue-t-il du sacerdoce universel des baptisés seulement d’un point de vue fonctionnel ? Pour les catholiques, il y a une distinction essentielle entre les deux sacerdoces (Lumen gentium 10), mais la grâce de l’ordination transforme-t-elle ontologiquement le prêtre en le configurant d’une manière particulière au Christ ?
D’ores et déjà, nous pouvons nous réjouir du chemin parcouru dans ce dialogue. Commémorer les 500 ans de la Réforme voulue par Luther, ce n’est donc pas nous tourner vers un passé douloureux. Mais se réapproprier la réflexion de Luther et ce qu’il peut encore nous apporter aujourd’hui dans sa quête de rendre l’Église toujours plus fidèle à l’Évangile. Pour finir, écoutons le pape Benoît XVI parlant de Luther en septembre 2011 devant des représentants de l’Église évangélique en Allemagne : « ‘Comment puis-je avoir un Dieu miséricordieux ? ‘ Que cette question ait été la force motrice de tout son itinéraire me touche toujours à nouveau profondément. (…) La plus grande partie des gens, même des chrétiens, tient aujourd’hui pour acquis que Dieu, en dernière analyse, ne s’occupe plus de nos péchés et de nos vertus. » DC n°2477, p 932. Oui, nous avons beaucoup à recevoir les uns des autres en dialoguant en vérité et en unissant notre quête de Dieu !
1« Il ne faut pas non plus oublier que tout ce qui est accompli par la grâce de l’Esprit Saint dans nos frères séparés peut contribuer à notre édification. Rien de ce qui est réellement chrétien ne s’oppose jamais aux vraies valeurs de la foi, mais tout cela peut contribuer à faire atteindre toujours plus parfaitement au mystère du Christ et de l’Église. » § 4,Unitatis redintegratio
HOMÉLIE du fr. Jean–Michel Poffet op pour le Jeudi Saint
L’évangéliste Jean avait-il des trous de mémoire ?
comment expliquer que l’auteur du IVe évangile que l’on nomme, depuis Clément d’Alexandrie, l’évangile spirituel, ait omis l’institution de l’eucharistie ?
On pourrait bien sûr penser…
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À PROPOS DU FR MARIE–DOMINIQUE CHENU
Sr Maya
Du 18 au 20 janvier, frère Marc-Antoine Bêchétoille op, est venu nous parler
du frère Marie-Dominique Chenu, sujet de sa thèse de doctorat.
Frère Marie-Dominique est un véritable monument, tant par sa longue vie mouvementée reflétant la vie de l’Église et de la société (1895-1990) que par son oeuvre d’historien et de théologien. Spécialiste de St Thomas d’Aquin, il écrit aussi une théologie du travail en 1950. Devant la richesse de cette aventure humaine, je choisis quelques moments de sa vie qui ont suscité un véritable changement de cap tout en maintenant une grande cohérence de fond.
En 1920, le P. Chenu intitule sa thèse de doctorat : “Analyse psychologique et théologique de la contemplation”. Le Père Chenu est un priant, au départ de sa vie et à l’arrivée, et il signe là son identité la plus profonde : “la théologie est d’abord un regard sur Dieu”.
Ses capacités intellectuelles, humaines et spirituelles, associées à un dynamisme généreux le mettent vite en position d’assumer des responsabilités : il est nommé professeur puis régent des études à la faculté du Saulchoir. Mais en 1937, après la parution de son essai “Le Saulchoir, une école de théologie”, il est mis à l’index par Rome, et démis de toutes ses fonctions d’enseignement. Une route semble se fermer. Le Père Chenu s’intéresse alors au monde du travail en pleine mutation et effervescence (1943 : “France, pays de mission ?” du Père Godin). Il anime alors plusieurs groupes de réflexion (ACO, Mission de Paris, Mission de France) et publie son ouvrage “Pour une théologie du travail”.
En 1954, les prêtres ouvriers sont interdits en France, et dans l’Ordre, c’est la grande purge : les provinciaux sont démis de leur charge et le Père Chenu est à nouveau mis à l’index, interdit d’enseignement et même interdit de séjour à Paris. Il part à Rouen, et se tourne alors vers une recherche d’historien médiéviste. Il publie “Saint Thomas d’Aquin et la théologie“(1957) puis “Introduction à l’étude de Saint Thomas d’Aquin”.
Enfin, le concile arrive. Le Père Chenu y entre par la petite porte : expert d’un évêque de Madagascar, il n’a pas le droit d’assister aux séances publiques, mais le 20 octobre 1962, le “message au monde” donné par le Pape est tiré de ses réflexions. Il dira simplement : “ils ont trempé mes propos dans l’eau bénite”.
On sait le rôle décisif qu’il jouera avec le Père Congar dans la rédaction finale de la Constitution “Gaudium et Spes”. Il rentre en grâce et une grande activité le mène alors sur de nombreux chantiers : le Père Chenu est un travailleur acharné et infatigable ! Sa passion de L’Évangile croise enfin pleinement les situations et questions que rencontrent les hommes et les femmes de son époque.
J’étais une jeune soeur, quand il est venu donner une session à Chalais en janvier 1978. Il était déjà mal-voyant et je fus chargée de l’accompagner pour le voyage de retour à Paris. Pour gagner le couvent St Jacques, il traversa tout droit le boulevard Arago, rempli de voitures, les deux bras levés : les voitures s’arrêtèrent, et il passa sans encombre… Je suivais par derrière, un peu terrifiée. Cette anecdote reste un souvenir indélébile dans ma mémoire. Je vois dans cette attitude risquée, un geste de prophète qui avance : un peu comme Moïse, il était prêt à fendre les flots quels qu’ils soient….
Le Père Chenu nous laisse surtout un témoignage de foi vivante. Son humanité généreuse, critique et optimiste était un signe visible de sa passion de l’Évangile vécu dans le monde de notre temps.
En guise de conclusion, voici un texte écrit en 1937 sur la foi :
“L’unité de la foi, Réalisme et Formalisme”
“S’il est un trait typique de la foi – attitude spirituelle ou acte de foi caractérisé – c’est bien la simplicité…/… quels que soient son contexte, ses modalités, l’acte d’adhésion de l’homme au divin est éminemment simple. Dans les âmes les plus compliquées, les plus chargées d’analyse, qui apparaissent à nos regards irrémédiablement encombrées de passions, de problèmes, d’angoisses, que se produise cette secousse qui fait nommer Dieu… une sorte de polarisation s’opère. Sous toutes les surcharges, les multiplicités, au delà des dédoublements superficiels, une candeur, une fraîcheur spirituelle se fait jour, se libère : un quelque chose de premier et de simple, à la racine même de notre être, a été touché…/…
Alors quel paradoxe, de la vouloir analyser, cette foi qui, comme la vie sous le scalpel du chirurgien, s’échappe à mesure que l’analyse se fait plus pénétrante !…/…
Mais nous repoussons cette espèce de romantisme qui vient défigurer la foi. Simplicité, avons-nous dit. Mais simplicité dans un “organisme”. La vie est simple, éminemment simple et cependant, nous avons membrure et squelette. Ainsi la foi a-t-elle une structure, la foi si simple…/…
Ainsi deux exigences, toutes deux totales, semblant refuser tout partage : D’une part, une adhésion à une vérité enseignée de la part de Dieu, à un enseignement proposé en formules, en dogmes, par un mandataire qui a rang dans une hiérarchie ; et d’autre part, une confiance secrète, qui se renouvelle sans cesse dans une rencontre directe et mystérieuse avec Dieu. Dialogue ininterrompu de Dieu, personne divine, avec moi,
personne humaine…/…
Dieu prend l’homme tel qu’il est ; la foi aussi, même si l’homme a peu de ressources de connaissance et d’amour. Réalisme de la foi, oui, mais réalisme humain ! “
(Supplément à la vie Spirituelle, tome LII, juillet-août 1937)
Pour en savoir plus, “L’hommage différé au Père Chenu” (Cerf 1990).
Chroniques de la communauté de Chalais
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