Lettre aux Amis de Chalais N°5
EDITO de la Prieure !
Espérer contre toute espérance
Nous allons entrer dans la grande semaine où nous célébrons la Passion et la Résurrection du Christ. Cette année, peut-être plus qu’une autre, ma question est : croyons-nous vraiment à cette vie nouvelle qui jaillit de la mort d’un innocent ?
A travers la complexité de la période que nous traversons, des violences que traversent la jeunesse de notre pays, comment croire que l’amour est plus fort que la mort, que le don que le Christ a fait une fois pour toutes de sa vie nous rejoint, nous aujourd’hui, qui que nous soyons.
Oui, notre espérance est mise à rude épreuve. Nous avons de quoi être inquiets, et tentés de baisser les bras. Mais justement, être disciple du Christ, n’est-ce pas être convaincu qu’il n’y a pas de fatalité, que le mal n’aura pas le dernier mot ?
Dernièrement une lecture m’a touchée. « L’enfant est celui qui n’a pas encore fait d’inventaire. Tel celui qui est doué pour l’espérance. C’est pourquoi le Nouveau Testament appelle à ressembler aux enfants. La tentation permanente de l’adulte est de se croire achevé, et c’est en ce sens qu’il lui faut rester un enfant : se savoir inachevé. » (Les pierres d’Angles, à quoi tenons-nous ? Chantal Delsol, Cerf 2014, p136) Croire, n’est-ce pas consentir à ce que notre vie ne nous appartienne pas ? Elle est entre les mains d’un Autre, qui ne veut qu’une chose, que nous vivions !
Cela ne veut pas dire que nous n’avons rien à faire, au contraire. Cela nous responsabilise les uns vis-à-vis des autres. Mais gagnant en humilité, nous avons conscience de ne pas avoir la maîtrise des événements. Nous cherchons, ensemble, à leur donner du sens et à devenir des frères et des sœurs les uns pour les autres.
Je termine en citant le pape François : « La Covid est notre « moment de Noé », à condition que nous puissions trouver notre chemin vers l’Arche : l’arche de l’amour et d’une appartenance commune. » (Un temps pour changer, pape François, Flammarion 2020, p28)
Belle fête de Pâques à tous !
sr Julie
SOMMAIRE :
– Nouvelles de la communauté (suivre les liens)
– “Dieu et César” sr Pascale-Dominique
– “J’entre dans mon jardin !” sr Maya
– “Guillaume de Saint Thierry” sr Marie-Bethléem
– Bloc-notes
NOUVELLES de la COMMUNAUTÉ :
DIEU et CÉSAR !
sr Pascale-Dominique op
Je vous propose de vous faire part de mes ruminations éclairées par quelques livres et articles, à propos de l’évangile concernant “Dieu et César“. “Rendez à Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César” . Ces paroles de Jésus ont connu une étrange fortune dans l’histoire et sont passées, affaiblies, dans le langage courant, dans le sens de : “A chacun son dû“.
Ouvrons la Bible. Ce passage paraît dans les trois évangiles synoptiques :
Matthieu 22, 15-22 ; Marc 12, 13-17 ; Luc 20, 20-26.
La peur est présente dans chacun des évangiles, sous des formes différentes. En Matthieu, les pharisiens viennent d’entendre la parabole du festin nuptial et se sentent visés, en Marc, les autorités ont “peur de la foule“, en Luc, scribes et pharisiens envoient des “indicateurs”, des “mouchards” dans le but de “livrer l’innocent“. Notons au passage l’attitude de Judas embrassant Jésus en Luc 22, 48. Ce sont les seules fois où le mot “livrer” parait en saint Luc.
Le but de l’opération : “le prendre au filet en paroles“. Bien sûr, on pense au psaume 67 : “Il avaient tendu un filet sous mes pas“…
La stratégie générale consiste à poser à Jésus une question flatteuse pour lui tendre un piège. Remarquez que les paroles fourbes des adversaires de Jésus disent la vérité sans qu’ils s’en doutent : “Nous savons que tu es véridique“. C’est exact ! “Tu enseignes la voie de Dieu en vérité“. C’est bien cela. “Tu ne regardes pas au rang des hommes”. Tout l’évangile confirme que “Jésus ne regarde pas à l’apparence“. Ce qui est enrobé de mensonge se révèle véridique.
Jésus demande qu’on lui apporte une pièce de monnaie et pose la question :”De qui sont cette effigie et cette inscription ?” Réponse unanime : “de César“.
La réponse de Jésus dans sa droite simplicité surprend tout le monde : “Rendez à Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César“. Jésus n’est pas le grand gagnant d’une joute oratoire, il est infiniment plus. Il est libre, Il est Lui.
Signalons un détail important. En saint Luc, quand Jésus paraît devant Pilate, Grands-Prêtres et scribes l’accusent : “Nous avons trouvé cet homme mettant le trouble dans notre nation, empêchant de payer les impôts à César et se disant Christ Roi” (Luc 23, 2). Mensonge éhonté !
De même en saint Jean (19, 12-16), quand Pilate cherche à libérer Jésus, “les juifs se mirent à crier, disant : “Si tu relâches celui-ci, tu n’es pas un ami de César, quiconque se fait roi s’oppose à César“. Pilate leur dit : “Vais-je crucifier votre roi ? Les grands prêtres répondirent : “Nous n’avons pas de roi, si ce n’est César“. La concurrence est impossible. Le Christ est bien roi mais sa royauté n’est pas de ce monde.
Quelques lignes d’interprétation seront peut-être bienvenues.
Notons que depuis sa petite enfance, le pouvoir de Jésus, “roi des juifs” fait trembles les puissants. Il est une menace pour Hérode, il va jusqu’à faire tuer des enfants pour se protéger lui-même.
Après la multiplication des pains, en saint Jean, Jésus se cache de peur qu’on ne veuille le faire roi.
Sa passion et sa mort se profilent à l’horizon. Quel pouvoir ? Celui des hommes aussi écrasant qu’éphémère ou celui de Dieu, cloué sur la croix, les bras ouverts à jamais ?
Sur la pièce de monnaie, on peut voir “l’effigie du divin César“. L’effigie de Dieu, c’est le Christ. Il est “l’image du Dieu invisible“. Nous sommes, nous aussi, les effigies abîmées par le péché, de ce Dieu qui nous a créés “à son image et selon sa ressemblance” et veut nous restaurer en son Fils.
Les premiers chrétiens refusent de faire de César un dieu et de s’incliner devant lui. Ils le paient de leur vie.
Et nous aujourd’hui ? Ne confondons-nous pas parfois, des personnes ou des idéaux, avec Dieu ?
Posons-nous la question ensemble. Cela mérite un débat. Nous l’avons fait en communauté.
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J‘ENTRE dans MON JARDIN !
Sr Maya op
Au cœur de l’hiver, à la saison morte où la nature semble dormir et se reposer, il est bon de se promener dans l’espace de sens que représente un jardin.
D’après l’Encyclopedia Universalis, un jardin est un endroit clos où la nature (plantes, animaux) est disposée de manière à servir le plaisir de l’homme. Un jardin a l’ambition d’être une image harmonieuse du monde, où la lumière du ciel, les eaux qui coulent, les plantes qui fleurissent et croissent, tout concourt à la beauté, au plaisir des yeux et à la paix de l’âme. Un jardin est une mise en ordre du monde créé, où deux forces vont devoir composer ensemble : la volonté et le travail d’un jardinier, et la force vitale d’une nature qui n’a de propos que de croître et de se développer, sans autre loi que la vie de chaque espèce. Il y a toutes sortes de jardins, comme il y a toutes sortes de races et de cultures humaines. Un touriste avisé qui veut connaitre un nouveau pays, fera bien de visiter ses jardins. Un jardin à la française ne ressemble guère au jardin anglais, ni un jardin toscan au jardin arabe ! Il existe une vaste littérature sur le sujet et l’on a même forgé le concept de ‘l’art des jardins.’
Les premiers jardins apparaissent en Mésopotamie, en Perse, et en Égypte, à partir du 4° millénaire avant notre ère ; On trouve dans ces pays de grands palmiers aux larges feuillages qui grâce à leur ombre permettent la culture de plantes fragiles et belles. L’ingéniosité des hommes arrivant à capter les moindres filets d’eaux, installe tout un système d’irrigation indispensable à la naissance d’un jardin.
En Perse, le jardin se nomme ‘ eden ‘ paradis ; c’est un vaste espace, où l’on peut chasser, qui est pourvu de clairières et même de bâtiments pour se reposer et se refaire. Toute une vie va se déployer dans ces jardins, qui peu à peu vont conquérir de grands territoires. La Bible doit beaucoup à cet héritage de la Perse. Zoroastre, (vers 600 avant JX) fait surgir de la lumière, un premier couple humain et lui donne comme demeure : « un jardin merveilleux qu’illumine la clarté d’un éternel matin. » Il y a du bonheur dans ce jardin, point de maladie, ni de violence, ni de mort. A partir de là, il nous est aisé d’entrer dans cet héritage de la Bible et d’en savourer, à la fois l’encrage culturel du Moyen-Orient et l’originalité fondamentale.
Dans le livre de la Genèse, nous trouvons le jardin (15 emplois) souvent associé au mot perse ‘eden’; ce jardin est pourvu d’arbres (et en particulier de l’arbre de la connaissance du bien et du mal), il est irrigué de fleuves, et dans ce jardin, Dieu parle. (Gn 3,8) Le psaume 1 nous permet de comprendre que la vie de l’homme ressemble un peu à celle d’un arbre : « Heureux l’homme,… il est comme un arbre planté près d’un cours d’eaux. Tout ce qu’il fait réussit ». Car Dieu est là dans ce jardin, Il l’a créé, et Il y donne tout, mais Il demande le respect d’un interdit : ‘ne pas manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal’. C’est le respect de cet interdit qui va permettre à l’homme d’accéder à son humanité : Car si l’homme est à l’image de Dieu, il n’est pas Dieu, il a sa propre limite. Ce premier jardin de la Genèse, reste une image originelle, fondamentale du bonheur de la vie avec Dieu, quand le mal n’a pas encore fait son œuvre. Après la chute, l’homme est chassé du jardin (Gn 3,23) et ce sont des anges qui le gardent.
Après ce début prometteur, il existe quelques emplois, de ce « jardin biblique » : le jardin peut être une sorte de point de repère, (2Rois 9,27 ; 25.4) mais aussi un lieu de repos après la mort (2Rois 21,26). Il faut signaler 8 emplois du mot jardin au Cantique des Cantiques. Ce jardin-là reprend bien le thème de la Genèse, c’est le jardin où se passe la rencontre entre l’aimé et l’aimée : « Mon bien-aimé est descendu dans son jardin, pour paître son troupeau dans les jardins » (Ct 6,2) « J’entre dans mon jardin » (Ct 5,1.) Aux livres des Prophètes, Isaïe, par exemple, il y a une critique de la perversion que l’on trouve dans les jardins qui deviennent des lieux d’idolâtrie et de débauche (Is 65,3 et 66,17) ; le jardin change alors de genre : de masculin, il devient féminin !!
Finalement ce thème du jardin reste assez rare, dans la Bible et il faut faire un grand saut pour le retrouver dans l’évangile de Jean. (6 emplois) Dans la passion, chez Jean, tout commence dans un jardin et s’achève avec le gardien du jardin. (Jn 18,1 et 20,15) Cet évangile a vraiment son originalité par rapport aux synoptiques : pas de prière à Gethsémani chez Jean, mais une ‘entrée’ dans un jardin : « De l’autre côté du Cédron, se trouvait un jardin, où Jésus entra avec ses disciples ». La servante qui relate le reniement de Pierre, lui fait remarquer qu’elle l’a vu dans le jardin, avec Jésus (Jn 18,26). Puis la mise au tombeau a lieu dans le jardin, où se trouve le tombeau neuf : « Or, il y avait un jardin au lieu où il avait été crucifié et dans le jardin un tombeau tout neuf où personne n’avait été mis »(Jn 19,41). Enfin Marie, pleurant celui qu’elle a perdu, le prend pour le gardien du jardin (Jn 20,15). Elle a finalement bien raison, cette Marie, figure de la nouvelle Eve : ce jardin est le jardin de la Vie, le jardin où Jésus meurt et ressuscite, l’accomplissement parfait du premier jardin de la Genèse où la vie de Dieu se manifeste en plénitude. On est en droit de penser que Jean a placé de façon intentionnelle ce jardin au tout début et à la fin de la Passion-Résurrection de Jésus.
En ces temps de Pâques, nous sommes invités, nous aussi, à entrer à la suite de Jésus, dans ce jardin qui mène de la mort à la Vie.
GUILLAUME de SAINT THIERRY
Sr Marie-Bethléem op
A l’issue de notre mois consacré plus particulièrement à l’étude j’ai eu l’occasion de partager à mes sœurs une lecture d’un livre de Guillaume de Saint Thierry, livre intitulé « Méditations », ce sont les prières que Guillaume adresse au Seigneur.
Guillaume m’est un compagnon de route depuis des années, il m’a séduite par la simplicité avec laquelle il s’adresse au Seigneur, pour son désir fou de Dieu et la recherche toujours plus ardente de son visage. Sa prière est un soutien pour la mienne.
Mais qui est Guillaume de Saint Thierry ? C’est un moine du XIIème siècle, bénédictin à l’abbaye de Saint Thierry dans le diocèse de Reims. Il fut 15 ans abbé de ce monastère. A cette époque il se rendit plusieurs fois au monastère de Cîteaux où il rencontra Bernard. Ils lient une forte amitié teintée d’une grande estime mutuelle. Ils œuvrent ensemble dans les controverses que traversent l’Église à cette époque. Guillaume découvre la vie des moines cisterciens et il n’a de cesse de les rejoindre. Ce n’est qu’à la fin de son abbatiat, malgré les conseils de son ami Bernard, qu’il quitte Saint Thierry, pour l’Abbaye cistercienne de Signy dans les Ardennes. À partir de ce moment jusqu’à sa mort, il se consacra à la contemplation des mystères de Dieu, et à la composition d’écrits de littérature spirituelle, importants dans l’histoire de la théologie monastique.
Le livre des méditations nous révèle la prière de Guillaume et l’homme au désir brûlant dans sa recherche de Dieu.
Voici quelques extraits nous donnant un petit aperçu de sa prière.
Il éprouve le tourment de Dieu tellement il désire le voir et l’aimer.
“Ô Toi que personne ne cherche vraiment sans arriver à trouver, viens nous trouver pour que nous te trouvions ! Viens en nous pour que nous pénétrions en toi et que nous vivions de toi… Mets le feu en nous pour que nous aimions ; que tout ce qui est nôtre devienne tien pour que nous trouvions le vrai bien.”
Dans sa prière existe une tension entre deux extrêmes : Guillaume et sa misère, Dieu et son infinie perfection. Il cherche à combler l’abîme qui les sépare.
“Ô Seigneur que dire de l’abominable face de ma conscience ? Et pourtant si misérable qu’elle soit c’est à tout moment que sa face ne fait que soupirer après la tienne… Ta face je la cherche ! Dis, je t’en supplie ne la détourne pas de moi ! Mais apprends moi par la lumière de ton visage ce qu’est donc la rencontre de ces deux faces car le désir que l’une a de l’autre me mine, et pourtant je ne connais encore bien ni l’une ni l’autre.”
Guillaume n’hésite pas à se plaindre au seigneur :
“…… Pourquoi , dis, tandis que lancé à ta recherche de tout mon cœur je me félicite d’avoir trouver ta face – la seule que ma face désire – brusquement je me trouve laissé tout seul ? Pourquoi me la caches-tu ?”
Guillaume nous montre un chemin dans la recherche de Dieu, un chemin parmi beaucoup d’autres. A chacun de trouver celui qui le conduira au plus près du mystère de Dieu.
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Semaine Sainte 2021 – Monastère Notre-Dame de Chalais